Attitude
L’Equus Asinus est bien moins stupide ou agressif que certaines fables veulent nous le faire croire. Des études scientifiques et des témoignages nous montrent la réalité d’un comportement purement qualitatif contredisant toutes idées reçues.
L’âne, un équidé pédagogue ! Avec des relations très conviviales !
L’âne bête et méchant ? Moi, connais pas !
L’habit ne fait pas le moine !
Têtu, idiot, ignare, lent, méchant… On s’est moqué de ses grandes oreilles et de sa prétendue stupidité, de son entêtement et de son sale caractère. Que d’âneries racontées sur son compte ! Résultat ? La rumeur est là. Une rumeur tenace où les préjugés dépassent la valeur d’un dur labeur qui, depuis des siècles, nous a pourtant laissé son héritage pour nous permettre d’avancer.
Quelque 50 ans, on suffit depuis l’arrivée de la motorisation pour que nous oubliions (presque) cet animal, mais sa présence se perpétue dans notre quotidien au travers d’expressions et proverbes que nous utilisons machinalement. Dans la plupart de ces maximes, l’âne n’est pas à l’honneur : “faire l’âne pour avoir du son”, “près de l’âne, l’on attrape des coups de pieds” ou le sempiternel, “bonnet d’âne” sont loin de reconnaître les réelles qualités de cet animal. Traiter quelqu’un d’âne ou de chameau n’a jamais été un compliment. Comme l’âne, le chameau est un animal sobre et rustique, “à tout faire”, surtout les tâches les plus ingrates. Il n’est pas vraiment curieux que notre langage bafoue cet animal qui nous a toujours rendu d’énormes services, car, animal omniprésent au quotidien et compagnon de misère, il a été assimilé à cette misère et le langage l’a affublé de tous les défauts. Son calme, son manque d’agressivité, sa présence attentive, son endurance, sa rusticité, et notamment son humilité, ont permis, voire stimulé cette réaction verbale contre les difficultés de la vie.
La réalité est heureusement bien différente des proverbes. Par exemple, si l’âne fait le gracieux (pour avoir du son) c’est qu’il est affectueux et demande de la tendresse (on remarque au passage que l’âne avait droit à du son plutôt que du grain, c’est moins cher et l’âne peut s’en contenter…).
Il est très rare qu’un âne “tape”, surtout contre quelqu’un. Moins exubérant qu’un cheval, un âne s’offre quand même parfois un petit rodéo de joie, tout comme les ânons qui jouent dans le pré. Mais s’il donne volontairement un coup de pied, il tape sans prévenir, en tout cas beaucoup moins qu’un cheval, et vise juste. Il tape toujours pour une raison “valable”, c’est-à-dire assez grave, quand il en veut à quelqu’un qui a fait une grosse erreur vis-à-vis de lui. Il peut également taper lorsqu’il se sent agressé, par exemple, s’il est attaché et que quelqu’un arrive en courant derrière lui. Ces conditions sont très rarement réunies et il faut vraiment jouer de malchance, ou le faire exprès, pour recevoir un coup de pied d’un âne.
Il est également rare que les ânes se tapent entre eux. Autant il est conseillé de séparer des chevaux lorsqu’on leur donne leur ration, autant il est possible de donner à manger à plusieurs ânes ensemble. Ils se positionnent en étoile autour d’un tas de foin et partagent leur repas en bons amis. Sauf cas particuliers, ils se partagent un seau de grain aussi calmement ! Ils ne deviennent féroces qu’entre mâles, en particulier s’il y a des ânesses aux environs. Les bagarres entre mâles peuvent être mortelles. C’est une des raisons pour lesquelles il ne faut pas hésiter à faire castrer un jeune mâle. En outre, un entier mal éduqué peut assimiler un homme à un âne rival et devenir ainsi agressif et très dangereux.
Un compagnon rêvé…
En dehors de ces moments très particuliers, l’âne est un animal doux qui aime la compagnie. “L’âne est extrêmement sociable, gentil et tolérant”, indique Béatrice Michel, éthologue, responsable d’une expérience en Camargue pendant plus d’un an. Tous les propriétaires, vous le confirmeront : “L’âne aime le contact avec les enfants et a besoin de beaucoup d’affection. En plus, cette tendresse sera rendue au centuple !”
Dans la mesure du possible, l’âne vit en groupe, en troupeau. L’apprentissage de cette vie en communauté se fait dès sa naissance. La mère s’isole pour accoucher, puis présente son rejeton au troupeau quand il a 23 jours. Elle l’allaite au moins six mois, plutôt dix, avant de le sevrer, et c’est durant cette période qu’il apprend comment bien se comporter avec ses congénères. Tous les adultes sont assez protecteurs vis-à-vis des petits et n’hésitent pas intervenir dans leur éducation.
Comme tous les enfants, les ânons jouent entre eux, ce qui exerce autant leurs muscles que leur convivialité. Un exercice habituel chez les ânons et de mettre les antérieurs sur leur mère. Ils s’entraînent ainsi au geste de la saillie qu’ils commencent à pratiquer avec plus ou moins d’efficacité dès 18 mois. Il faut vraiment éviter de jouer avec un ânon, surtout en le laissant vous mettre les antérieurs sur les épaules, car il vous assimile ainsi à un copain âne dont vous n’avez pas la force, d’autant moins que l’ânon va prendre au moins 100 kg et plusieurs centimètres en deux ans, ce qui ne sera jamais votre cas ! En outre, quand il aura acquis peu plus de maturité, il risquera de vous faire passer de “copain âne” à “âne rival” et là, il ne fera aucun cadeau.
Contrairement à la hiérarchie bien nette que l’on voit dans les troupeaux de chevaux, même petits, on ne constate pas la présence d’un “grand chef” dominateur dans un groupe d’ânes. Souvent, quand même, un mâle, castré ou non, mais d’âge moyen et à forte personnalité, a un rôle de “sage” qu’il ne gardera pas forcément toute sa vie. Un plus jeune pourra le relayer, après quelques discutions parfois animées. Les vieux restent intégrés au troupeau et sont respectés. Ils surveillent fréquemment les tout jeunes. Les grandes décisions ne sont pas prises par le chef. Une ânesse expérimentée peut décider d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte et tout le troupeau la suivra. Si un nouvel âne arrive dans le groupe, il sera a priori bien accepté par tous et dans le calme, sans toutes les démonstrations dynamiques et sonores des chevaux.
Il est certain qu’un groupe d’ânes fonctionne comme une famille unie, ou chacun est attentif aux autres et responsable du groupe, où l’entente cordiale est de règle, où aucun élément n’est mis de côté.
Un comportement d’étalon
Dans un troupeau d’ânes semi-sauvages, le jeune étalon, à partir de 3 ou 4 ans, est considéré par ses congénères comme un rival à part entière. Deux études en Suisse et en Camargue, sur une durée d’environ sept ans, sur des ânes domestiques remis en semi-liberté, ont permis de déterminer le sens intuitif du capital génétique des étalons plus âgés sur celui des plus jeunes. Les scientifiques ont remarqué que pour évaluer les qualités du futur rival, les mâles trouvaient leurs premières informations en “étudiant” les odeurs d’urine ou de sperme Laissées après une saillie, plus exactement aux phéromones qui y sont contenues. Également, que le lieu de ralliement des étalons pour trouver une femelle, notamment celles qui viennent de mettre bas et sont de nouveau fécondes, est le point d’eau, car les ânesses y viennent systématiquement se désaltérer. Ces comportements ont déjà été remarqués chez les zèbres et les ânes sauvages, mais aussi chez les chevaux, dans la mesure des observations possibles de chevaux “sauvages”.
L’âne est plus intelligent que le cheval…
Doux et tendre, serein et courtois, organisé et montrant avec ses congénères un sens certain de la convivialité, l’âne est aussi intelligent. L’histoire du bonnet d’âne a toujours été prise à l’envers. En réalité, le bonnet d’âne était mis sur la tête des cancres pour leur faire passer l’intelligence de l’âne !
“J’estime l’âne bien plus intelligent que le cheval, car il a plus de personnalité. Ce n’est pas un animal de cirque, c’est au propriétaire de le comprendre” indique Daniel Laguna, éleveur d’une trentaine d’ânes et qui tente de recréer des variétés qui existaient autrefois. Même constat pour Béatrice Michel et Wurbel, deux ethnologues suisses ayant baigné plusieurs années dans l’univers asin : “L’âne est moins soumis que le cheval. Sa structure sociale lui permet de s’adapter à tous types de situations”, déclarent-ils dans un communiqué.
Les témoignages ne manquent pas. En fait, il apparaît que l’âne semble têtu parce qu’il n’avance plus ou lent parce qu’il est hésitant, son comportement traduit en réalité prudence, attention et circonspection. Eh bien oui ! Avant de se lancer en terrain inconnu douteux, l’âne réfléchit, flaire, tâte du sabot, évalue la faisabilité et la sécurité du parcours. Intelligence, prudence et personnalité font de l’âne un insoumis. Il n’obéit jamais, et même “a horreur des despotes”, comme le dit Pascal Fontenelle, éleveur et organisateur de randonnées. Il fait ce qu’on lui demande parce qu’il le veut bien, pour le plaisir de partager, parce que vous êtes devenu pour lui un membre de sa “famille”, de son troupeau. Mais il intervient toujours dans ce que vous lui demandez, parce qu’il s’intéresse à ce qu’il fait, qu’il est attentif et prudent, pour lui-même et aussi (surtout ?) pour vous.
Il est tellement attentif à vous que n’importe quel âne qui part seul en promenade avec moins de 5-6 personnes s’arrête systématiquement dès que l’une des personnes est éloignée du groupe. Il attend qu’elle se soit suffisamment rapprochée pour redémarrer. Il s’arrête également si un bout de son paquetage tombe. Quand on pense qu’un cheval ne s’arrête pas toujours quand il perd son cavalier !
Une étude scientifique réalisée en 1982 par le professeur Béat Schantz, durant plus d’une année, confirme que les ânes aiment vivre en société, se rencontrer et sont très conviviaux entre eux et avec l’homme. Cette étude montre également qu’ils usent de subterfuges pour atteindre leur objectif. Devant une difficulté, leur réflexion les amène souvent à contourner le problème. Un âne prendra le temps, mais trouvera à la longue le moyen de s’échapper de son enclos ou de son écurie pour aller retrouver la ou les ânesses dont il est violemment amoureux.
Mais on peut faire l’éloge du comportement de l’âne, ce “bon à tout faire” depuis plus de trois mille ans, simplement au vu de sa gentillesse et de sa patience. Ce trait de caractère lui permet d’être utilisé, aujourd’hui, auprès des enfants, notamment handicapés. Quelle que soit la nature du handicap, il est toujours possible de trouver une activité adaptée. Même si l’on fait monter des enfants sur le dos des ânes, il n’est pas question de parler d’équitation, ni de sport. En conséquence, les activités avec ânes ne sous-entendent aucune compétition, ce qui est particulièrement apprécié par les enfants handicapés. Il devient un confident après des jeunes autistes et autres enfants “à problème” et leur permet de trouver un peu de bonheur au contact de sa douceur.