Attitude
Entre autres réputations, l’âne à celle d’être un animal rustique. Comme toute réputation, celle-ci est à prendre avec circonspection. Il y a du vrai et du faux. Il est réel que l’âne mange beaucoup plus d’espèces de plantes que le cheval. Il aime bien les plantes ligneuses, grignote volontiers des arbres, en particulier les fruitiers, et peut même attaquer le bois bien sec des clôtures ou des huisseries de son écurie. De même, il mange et digère sans problème du grain non concassé. Que ce soit de l’orge, du maïs ou une autre céréale, on ne retrouve pas de grains entiers dans ses crottins.
Toutefois, ne lui donnez pas trop à manger et sachez en prendre soin !
Un animal rustique
Cette différence avec le cheval est assez importante, par ses causes et ses conséquences. Les causes sont sa “mentalité” et sa façon de manger. En effet, l’âne est un animal calme qui, sauf erreurs d’éducation qui l’ont rendu exagérément gourmand, voire boulimique, ne se jette pas sur un seau de grain comme s’il était affamé. Il mange ce qu’il lui faut et laisse souvent du grain dans son seau. Il mange lentement et mâche consciencieusement. En conséquence, il digère bien ses aliments. Il évite ainsi bon nombre d’accidents de digestion parfois gravissimes chez le cheval, et d’autre part, en assimilant sa nourriture au maximum, il se contente de quantités bien moindres.
L’âne mange peu et boit également peu, rarement plus de 10 litres par jour, souvent à peine un demi-litre, mais toujours de l’eau très propre. Il a besoin de boire moins parce qu’il dépense moins qu’un cheval et transpire peu et modérément. Il est vraisemblable qu’il utilise mieux que le cheval l’eau de son alimentation, ce qui suppose quelques différences physiologiques du côté des reins, à moins qu’il n’ait, comme le chameau ou le dromadaire, la possibilité de “réserve aqueuse”, mais cela reste à étudier. Il est aussi vrai qu’il est plus “costaud” qu’un cheval, et très endurant. Son dos plat, sa courte encolure, l’ensemble de sa morphologie font qu’il peut porter et tracter plus lourd qu’un cheval. Les petits ânes africains aux jambes grêles, qui trottinent sous une charge dont même leurs oreilles ne dépassent pas, en sont l’exemple typique. Ce sont entre autres ces qualités que l’homme a exploitées en les amplifiant, en créant des grands mulets.
L’âne malade
Il n’est pas faux qu’un âne est moins souvent malade qu’un cheval. Mais quand il est malade, c’est généralement très grave. Il est fréquent dans nos régions qu’un âne dépasse la quarantaine sans avoir eu de problèmes particuliers, alors qu’un cheval, qui déjà a une espérance de vie moindre, arrive rarement à la fin de ses jours sans avoir franchi quelques problèmes digestifs, locomoteurs ou autres. Plusieurs raisons peuvent justifier cette résistance. Il y a d’abord les raisons pratiques assez évidentes : l’âne n’est pas un animal de sport, il ne court ni ne saute, ce qui lui évite pas mal d’accidents, y compris les problèmes cardiaques. Ensuite, son tempérament calme et réfléchi le protège. Il ne prend pas de risques, “bloque” au lieu de faire un écart, n’obéit pas aveuglément et sait faire une pause même brève quand il a besoin de repos. Mais il y a des raisons plus profondes, que l’on pourrait dire inclues dans son génotype, qui lui permette de résister à pas mal de contagions. En effet, l’âne a curieusement échappé au “tri génétique” que l’homme a appliqué aux chiens, aux chevaux, autres animaux utiles à son travail ou à son alimentation. On ne connaît pas de race d’âne spécialisée pour une production ou une utilisation précise (à part le baudet du Poitou). De plus, l’âne est un animal social qui vit de préférence en troupeau, il n’est pas agressif vis-à-vis de ses congénères même s’ils n’ont pas “été présentés” et a ainsi toujours été amené à rencontrer divers germes auxquels il a résisté, qu’ils soient transportés plus ou moins directement par d’autres ânes, d’autres animaux ou l’homme. L’âne a donc conservé une résistance naturelle (anticorps ?) que, par exemple, le cheval a pas mal perdu au travers de son élevage sélectif, de tous les soins attentif qui lui sont prodigués et de son habitat relativement isolé qui limite les risques de contamination.
Mais cette rusticité de l’âne n’est pas absolue, et il n’est pas question de laisser un âne se débrouiller tout seul, même dans un enclos bien vaste “avec tout ce qui lui faut”. Il a besoin de présence, de surveillance et de soins d’entretien.
Le très gros risque pour un âne est de prendre froid. Une pluie froide et persistante qui lui détrempe son gros pull d’hiver en bonne laine épaisse, pas d’abri pour se sécher, et voilà notre Cadichon qui a pris froid. Chez l’âne, il faut être très attentif au moindre refroidissement qui dégénère souvent en quelques jours en maladie pulmonaire (emphysème) généralement mortelle. Un bon abri est donc indispensable, surtout en hiver à cause de la pluie, mais est aussi bien utile en été à cause des mouches.
L’humidité a aussi des conséquences néfastes sur l’état de la corne. L’âne a une corne épaisse et dure. Dans nos régions bien vertes, parfois bien mouillées, où l’herbe pousse en épais tapis, l’âne ne marche plus, n’use plus la corne qui, pour envenimer le problème, trempe en permanence et perd de sa solidité. Il en résulte au minimum le maintien de gros défauts d’aplombs. Pour peu que les propriétaires veuillent faire l’économie d’un maréchal, ou pire, ignorent que les pieds nécessitent un minimum d’entretien, les ânes ont alors des pieds comme des babouches, longs, pointus et recourbés, qui les rendent infirmes.
Comment bien le nourrir
Les ânes de nos pays tempérés et riches sont tous guettés de près par le mal de nos sociétés : la surnutrition. Les conséquences sont multiples autant que graves et insidieuses. Le moindre mal est l’embonpoint. Mais il faut mettre l’âne au régime avant que se forme “le chignon”, ces bourrelets de graisse de part et d’autre de l’encolure arrivent parfois à “déborder” et pendre. À ce stade, l’âne est obèse et son espérance de vie fortement diminuée. Le cas très fréquent est l’âne en état de fourbure chronique. Il n’est pas forcément gras, semble bien aller, mais est parfois bien calme dans son pré : il a mal aux pieds. On rencontre très peu chez l’âne une bascule de la troisième phalange, mais les ânes dont les pieds ont des traces de fourbures sont légion. Ces ânes finissent par avoir des difficultés permanentes pour marcher, deviennent inaptes au travail, voire à la reproduction. Les causes de la surnutrition sont graves parce que difficilement gérables. Un âne attire la sympathie et notre moyen spontané de la montrer est de lui donner une gourmandise. Personne n’y échappe, surtout pas les voisins, les enfants, les gens de passage le long de son enclos, même pas vous ! Ces gourmandises à répétition (appréciées !) s’ajoutent à une herbe déjà trop riche, voire à quelques rations d’aliments concentrés que l’on donne sous de fallacieux bons prétextes. L’organisme de l’âne, “prévu” pour résister à des périodes de disette, ne résiste pas à l’abondance. C’est déjà vrai pour un cheval et l’est encore plus pour un âne : on le tue plus vite de suralimentation que de sous-alimentation.
Le stress de l’âne
Il est enfin une fragilité bien cachée de l’âne : sa sensibilité psychologique. Sans chercher à le psychanalyser, il faut savoir qu’il est beaucoup plus sensible qu’il ne le montre. Un âne “assume sans rien dire”. Il est en particulier très sensible aux changements de son environnement social. Il a besoin d’être dans un troupeau, et à défaut d’autres ânes, il s’assimilera à d’autres animaux avec une préférence pour les humains, mais il ne se sentira jamais aussi bien qu’avec plusieurs de ses congénères. On constate très souvent qu’un âne qui a été vendu présente, pendant une période qui peut durer trois ans, divers petits troubles de santé ou de comportement. Il peut avoir “des coups de blues”, des problèmes de parasitisme interne, divers problèmes de peau (teigne, gales, poux…), parfois même des amaigrissements passagers. Notre rationalisme nous incite à chercher des causes physiques alors qu’il est vraisemblable que la cause première soit psychologique. Par ses qualités physiques et morales, l’âne est effectivement plus rustique que le cheval, mais il a certaines fragilités dont tout propriétaire doit tenir compte. Il faut aussi que le vétérinaire agisse avec prudence, car certains soins convenant à un cheval peuvent provoquer des réactions chez l’âne, parfois mortelles. Il y a encore beaucoup à découvrir dans ce domaine. Quoi qu’il en soit, l’âne est un animal assez facile d’entretien et dans tous les cas de bien agréable compagnie.