Olivier Courthiade, un ardent défenseur de nos mulets !
Il est bien connu du grand public que le mulet est un hybride... La chose se complique considérablement lorsqu'on cherche à savoir ce qu'implique ce mot et comment ce fameux hybride est fabriqué ! La fréquentation de nombreux salons en qualité d'accompagnateur des mules des Pyrénées m'a donné l'occasion d'entendre des versions tour à tour fantaisistes, navrantes ou au contraire du plus grand effet comique...
Mon propos ici n'est pas de m'adresser au grand public et de faire de la vulgarisation, mais plutôt d'attirer l'attention des quelques producteurs de mules existant encore en France, sur plusieurs points :
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D'une part, l'image de marque du mulet en France est désastreuse (la majorité des gens s'imagine que les mulets sont petits, vicieux, méchants, tapeurs et mordeurs, mais qu'ils ont le pied sûr !).

Il faut savoir que dans le même temps, le mulet, emblème de la conquête de l'Ouest américain, est hautement considéré dans ce pays où différentes associations très dynamiques veillent à produire des types nettement identifiés. C'est ainsi qu'on distingue les mules "à coton", les mules de bât, les mules de course, les mules de trekking, etc.
Des rassemblements somptueux ont lieu dans l'Oregon et la Californie. Les reproducteurs les plus fréquemment utilisés sont les catalans et les baudets du Kentucky pour les mâles, et les purs-sangs anglais, Quater Horse, Appaloosa et ardennais, suédois ou belges pour les femelles. Des programmes de courses, concours hippiques, etc., sont organisés.
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D'autre part, il n'existe pas en France de différenciation administrative (d'appellation contrôlée) entre des mulets produits en Poitou, par exemple, et ceux produits dans les Pyrénées. Le SIRE, situé à Pompadour, qualifie indifféremment ces animaux pourtant très différents phénotypiquement de "mulets".
Toutefois, sans être un expert en marketing, force est de constater que le marché du mulet a bien évolué depuis un demi-siècle. En revanche, le comportement des producteurs à quelques exceptions près, lui, ne s'est pas modifié. Grosso modo : on se contente de se débarrasser, au prix fixé par quelques très rares marchands italiens ou espagnols, des muletons au sevrage.
Fort de l'expérience pyrénéenne menée par le Conseil Régional du Midi-Pyrénées en liaison avec la direction des Haras de Tarbes depuis 1989, il me parait que la situation peut être notoirement améliorée pour un avenir commercial (c'est à dire pour l'avenir tout court !) du mulet en général et celui des éleveurs des bassins de production en particulier, qu'on peut classer traditionnellement en quatre zones d'importance variable :
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le Poitou (circonscriptions des Haras de Saintes et de La Roche-sur-Yon)
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les Pyrénées (circonscriptions des Haras de Tarbes, Gelos et Uzès)
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le pays de Seyne (circonscription d'Uzès)
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les Savoies et Dauphiné (circonscription d'Annecy)
Voici ce que je propose avec la seule prétention ou plutôt l'espoir, que mes confrères, dresseurs ou marchands, voudront bien donner un écho favorable à ces idées :
Réunir tous les partenaires des "berceaux" précités, au sein de la Fédération Nationale Asine et Mulassière pour réfléchir ensemble à la réhabilitation du mulet français. Dans cette optique, demander aux instances concernées d'ouvrir des programmes sportifs de courses ou de compétitions de tous ordres, et cela pour nos mulets. Sachez par exemple que ceux-ci n'ont pas accès aujourd'hui aux compétitions d'attelage organisées par la Fédération Equestre Française ! Définir pour chacun des foyers de production, le cahier des charges permettant "l'appellation contrôlée" figurant sur le certificat d'origine officiel édité par le SIRE.
Le client aujourd'hui, par définition non professionnel, a plus que jamais besoin du "papier" pour garantir l'origine des animaux : le temps des wagons entiers de mulets pour l'exportation, l'armée, les forestiers et autres viticulteurs du Midi est bien révolu, changeons donc nos méthodes de vente.
A titre tout à fait indicatif, voici ce que pourrait être "la formule génétique" des différents types de mulets produits dans l'hexagone :
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le poitevin : c'est le géant de l'espèce. De grand format, volumineux, très armé dans son squelette, il est parfait pour le trait lourd, le camionnage, le débardage. D'un poids atteignant 700 kg, il peut toiser couramment 1,70 m et sa robe est sous poil isabelle (c'est une de ses originalités), noir, bai, gris, très rarement alezan. Son père comme sa mère appartiennent aux races asines et chevalines mulassières du Poitou. C'est le cas le plus simple.
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le pyrénéen : produit de l'Atlantique et de la Méditerranée, sa formule est toujours expressive, distinguée, plus légère dans les jointures, le tissu fin, le tendon sec, l'oreille coquette, l'œil noble et l'action rapide. On peut recruter dans cette population d'excellents animaux d'attelage fins, de bât, de trait léger et parfois, dans les cas les plus réussis et quand la mère s'y prête, d'excellentes montures. Le père est toujours à poil ras, catalan ou pyrénéen. Le poids n'excède pas 600 kg pour une taille de 1,60 m au maximum. La mère est choisie en fonction de l'utilisation recherchée pour le futur mulet. C'est généralement la Postière bretonne, légère et active, qui est recrutée comme mulassière, mais également de fortes juments de selle de type trotteur ou demi-sang. La robe la plus caractéristique de la mule des Pyrénées est le noir et le bai brun.
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le mulet des Alpes (mulet seynois) : animaux de bât au pied sûr en montagne, ils étaient utilisés pour les travaux des champs et l'exploitation forestière. La demande était très forte, l'essor économique a permis à de nombreuses famille de sortir de leur modestie. Chaque ferme produisait 2 à 3 muletons par an qui partaient dans toute l'Europe et en Afrique du Nord, l'élevage mulassier y remonterait au XIIe siècle.
Maintenant produit dans l'une des plus ancienne station mulassière des Haras nationaux, Seyne-les-Alpes en Haute Provence, le mulet seynois est étroitement tributaire du commerce avec l'Italie. Or, on achète ce que l'on connaît. De la même manière qu'en Pyrénées les marchands espagnols achetaient en confiance les mules issues de leurs baudets catalans, les courtiers piémontais fournissaient à Seyne des baudets Martina-Franca. L'administration des Haras a d'ailleurs longtemps et à juste titre maintenu cette coutume. Quant à la jumenterie, elle a considérablement évolué au cours des âges, mais on peut dire qu'elle est quasiment composée aujourd'hui de poulinières comtoises, crins lavés, de format moyen. Rien d'étonnant à ce que les mules issues de cet accouplement italo-comtois soient ragotes, brévilignes, et donc avec une musculature ronde et pleine, sous poil alezan.
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le mulet savoyard : les Savoies ont traditionnellement produit des mulets "à consommer localement" pour l'agriculture de montagne, mais aussi des animaux destinés aux marchands dauphinois, notamment à Romans-sur-Isère, véritable plaque tournante internationale du commerce du mulet (jadis), qui les revendaient partout en France et surtout au service des "remontes militaires" pour remonter les régiments d'artillerie de montagne (chasseurs alpins). Pour donner du "gros" aux produits issus de petites juments montagnardes, on a toujours préféré le baudet poitevin. Aujourd'hui, la jumenterie est constituée de petites juments comtoises choisies sous poil bai afin que les mulets affichent cette robe. Trapu, bref, le mulet savoyard se recommande pour le bât bien que cela ne soit pas son usage exclusif.
Avant de boucler la boucle, je précise pour ne froisser personne, que bien évidemment on a connu à la grande époque du mulet, d'autres zones de production par exemple le Massif Central... On ne fait pas du vin qu'en Champagne, Bourgogne ou Bordelais. Je n'ai fait que citer les zones traditionnelles. Il me reste à espérer que la commission mulassière de la F.N.A.M. (Fédération Nationale Asine et Mulassière) et que toutes les personnes conscientes de la nécessité d'organisation de la production mulassière se mettent à l'unisson un jour afin de réhabiliter ce summum de la civilisation du cheval, cet hybride génial, le mulet.
Texte de Olivier Courthiade (École des mules de Méras, 09240 Nescus).
La mule poitevine, la mule des Pyrénées et la mule des Alpes sont des races reconnues depuis par les Haras nationaux.
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